Un hommage très littéraire à ces immenses champions qui, àperdre avec panache, ont conquis plus de gloire qu'en gagnant petitement.
Seule la victoire est belle dit l'adage. Elle rend riche, célèbre et
parfois immortel. La défaite, au contraire, est dans les plus grandes
occasions une petite mort, un effondrement. Pourtant, certains
perdants parviennent malgré eux à soulever des émotions qui
traversent le temps et dépassent les lignes de palmarès.
Il reste ainsi de Thibaut Pinot, qui a mis un terme à sa carrière
à la fin de la saison 2023, les regrets d'un Tour de France 2019
abandonné à quarante-huit heures d'une victoire vers laquelle
il s'envolait inexorablement. Pendant plus d'une décennie
d'abdications spectaculaires et de résurrections exaltées, Pinot
s'est inscrit dans une lignée de vaincus – de René Vietto à Zola
Budd, en passant par Sócrates et Raymond Poulidor – qui ont
élevé leur défaite au rang d'oeuvre d'art.
Présent dans le virage Pinot sur le Tour 2023, Xavier Garcia a
assisté en fan exalté à l'une des dernières envolées du Français
et brosse ici le portrait de l'idole franc-comtoise et de neuf
autres perdants magnifiques. Fragments mélancoliques, ces
lignes pleines de sang, de sueur, de boue et de larmes, célèbrent
ces glorieux losers sans lesquels le sport n'aurait pas la même
saveur, ces sublimes défaites sans lesquelles la victoire n'aurait
pas de sens.
Raymond Poulidor a compris le premier l'intérêt d'emprunter ce raccourci méritocratique en adoptant un fatalisme débonnaire face à l'enchaînement irréel des coups du sort de juillet. Il y a bien eu des sanglots derrière son masque ensanglanté en 1968 après qu'une moto de presse l'ait renversé et qu'un peloton de charognards déchainés le dépouille de la victoire qu'il tenait enfin. Mais sa faculté à voir les verres cassés à moitié pleins le rendit vite à sa joie d'être Poulidor, fils de métayers devenu riche et adulé comme aucun autre sportif français. " Si j'avais gagné le Tour, on ne parlerait plus de moi " avait-il coutume de dire.
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